Article du Standar 27 juin 2015

OU VA LA VIE  SI ON N EST PAS ATTENTIF NE FUT CE QU UN INSTANT ?

Filip Rogier (traduction Françoise Van Innis et Jan Ollevier)

Dans une maison de soins à Mouscron, Simone a le regard vague. Autour de ses jambes des bandages. Son dos vouté fait un demi-cercle, comme si la terre voulait l’absorber. Mais si on lui  titille l’esprit de façon subtile et juste, Simone redevient la jeune fille de vingt ans. Se lève de son fauteuil  pour danser le french cancan. Nous avons été témoins de ce miracle grâce à Julie et Denis. Ils forment ensemble l’asbl Empathiclown.

« La musique fait avancer » exprime Denis. Le corps aussi n’oublie pas les paroles. Les mots et les phrases peuvent se dissoudre, la peau ne connait pas d’amnésie. Les gens très âgés se découvrent une nature tactile qui durant plusieurs dizaines d’années s’était cachée  derrière un écran fait de raison et de freins . Un homme ou une femme peut encore garde pour toujours la sensation son premier baiser.  Réveiller ces sensation, c’est ce que font Julie et Denis. Ils touchent les gens avec leur musique et leurs mains . Une fois par mois, ils rendent visite à saint joseph habillés en clown. Pas du type burlesque, plutôt mélancolique. Ils se promènent dans les couloirs et chambres lui avec son accordéon, elle avec un ukulélé.

Des filles et garçons de 80 ans émergent ainsi d’un sommeil profond. Denis appelle cela « chercher l’accordage » . Cela rejoint en cela : la validation , une méthode qu’on applique ici depuis quelques temps déjà. Une méthode développée par l’actrice Naomie Feil, mécontente de la manière passive avec laquelle on mettait de côté les gens atteints de démence. Le choix du mot validation et non revalidation est pertinent. Avant d’entrer en action les deux clowns s’informent de ce qui s’est passé entre leur dernière visite. « Par exemple nous savons que cette semaine , ’une des pensionnaires à perdu son mari. Il n’est pas dans notre intention de la faire rire, s’il le faut on pleurera avec elle. » Nous suivons Denis et Julie dans la salle commune.

Denis s’agenouille devant Yvette, plonge le nez dans son cou. Mmm vous sentez bon. Là-dessus Yvette éclate de rire. Elle passe d’un état de tristesse à des rires. « Mon mari est mort, je n’ai pas le droit de rire ». Denis lui souffle quelque chose dans l’oreille. Yvette rit. Elle pleure. Denis lui insuffle de nouveau dans l’oreille. Elle rit : il faut quand même savoir faire l’amour, dit elle en pleurnichant entre coupé de mots inintelligibles. 

Julie et Denis continuent d’avancer. Ici et là ils investissent les chambres de ceux qui ne sont pas sortis. Un peu plus tard ils sont de nouveau dans la salle commune jouant de la musique. Quelque chose dans l’atmosphère veut se détendre. « Chériee » chante Madeleine. « Allez danse «  crie Francine. « Coucou » dit Yvette. Quand soudain une femme chantonne d’une voix expérimenté : quand je vois mon petit oiseau…… Tout le monde se tait. Pendant que Denis joue du saudade, Simone comme une écolière impertinente rampe derrière lui et lui pince les fesses. Un peu plus tard en retrouve Simone affalée dans son fauteuil. La danse continue dans sa tête, l’été, l’autre côté.

« Ou  va la vie si on n’y prête pas attention. ? » Demande-le aux poètes . Demande le à Gerrit Kouwenaar. La langue appartient aux oiseaux/je suis trop humain pour voler / Je suis une maison sur la terre/construite  de glaise /

Des heures après la phrase d’Yvette résonne encore dans nos oreilles : il faut quand même savoir faire l’amour. Cela a le goût du premier baiser.